samedi 27 novembre 2010

Jupe (journée de la)

La vie quotidienne d'une femme, ça n'a pas de prix. Il en faudrait, des billets à rallonge, pour raconter ce que fut mon insouciante jeunesse au milieu des gros mots maladroitement lancés par des hommes en mal de chaleur humaine. Petit florilège :
- le camionneur qui se gare en travers du carrefour où j'attends un bus, dans mon village désert et depuis l'habitacle de son engin me crie "salope ! Tu te crois belle ! Sale pute !" ;
- l'estafette de gendarmes ralentissant pour se caler à mon pas, avec le lieutenant Dugenou qui, coude sorti et sourire entendu, m'adresse un "excusez-moi mademoiselle, je cherche la rue machin (inexistante)" dans un bled rural de deux mille âmes qui est censé être de leur secteur ;
- le copain de classe au lycée, gentil blondinet à la mèche très deuxième arrondissement (lyonnais), qui me hurle "salope" depuis l'autre bout de la cour parce que je porte une minijupe, mais qui sort avec une fille qui porte une minijupe ;
- les douze mille "bonjour mademoiselle" qui se terminent par un "salope" si je manque de répondre alors que quand même, dans un couloir de métro où dans la rue, je pourrais faire l'effort de dire bonjour aux gens ;
- les "Il faut sourire mademoiselle" quand je rentre du boulot ou des courses en négligeant mon rôle social de mère Noël.
Je laisse de côté les mains passées alors que je me balade en jogging mou - il faut bien que le badaud inquiet puisse s'assurer que mes fesses n'ont pas disparu - ou encore les frottages en transport en commun par les distraits qui confondent ticket et parties génitales, postérieur et oblitérateur.  Je n'évoquerai pas non plus mon entretien d'entrée aux Beaux-Arts de Saint-Étienne ou les enseignants répétaient, droits dans leurs bottes, qu'ils acceptaient tous les hommes au concours d'entrée et complétaient ensuite les effectifs avec des femmes, qui ne peuvent évidemment pas devenir artistes.

Ce que je peux être rancunière, moi, à garder souvenir de tout ça et à en faire étalage !
En lisant l'appel de ni putes ni soumises, je suis rassurée : mon cas reste une exception. Le machisme est avant tout une affaire de quartier populaire et d'immigrés, un truc qui se passe à Vitry ou équivalent. Ouf !  Envolées les inégalités salariales, de pension de retraite, de taux de chômage, de représentation politique, petit le harcèlement au travail, anecdotique l'exploitation dans les foyers familiaux, exit les parades de mâle dominant dans le monde du travail ou dans la rue, tout cela reste exceptionnel tandis qu'une masse basanée tapie au pied de chaque tour persécute nos sœurs sans relâche, usant de tout le pouvoir dont ses membres disposent pour interdire le port de la jupe. Afin de réagir avec dignité, l'idée d'appeler l'ensemble des femmes à porter une jupe (donc à en acheter une si vous êtes une de ces farfelues qui n'en possédez pas) fait son chemin. Le tour est joué. Le féminisme est une lutte qui se mène entre femmes, avec les moyens dont elles disposent : des jambes (plutôt qu'un hypothétique cerveau).  Grâce à la jupe, les femmes pourront enfin afficher leur solidarité, dans une gracieuse et muette connivence qui sied si bien à leur charmante nature.

6 commentaires:

  1. je me rends encore plus compte de ce machisme-là depuis que, l'âge aidant, je peux maintenant passer partout sans qu'on me congratule d'une remarque de cet ordre. Mais, je constate toujours son existence quand des jeunes filles/femmes près de moi sont saluées de cette façon-là. Il est misogynie, mépris de la femme, qui, ses atours de jeunesse passés (seule valeur aux yeux de ces hommes-là) sera considérée comme un vieux torchon par ces mêmes hommes-là. Heureusement, ils ne sont pas tous pareils ;)).

    La jupe ? j'ai adoré le film (La journée de la jupe), je trouve qu'il y a un côté ridicule à insister... surtout quand je vois que la plupart des jeunes filles n'ont aucun souci (ni froid aux gambettes) à se balader short mini-mini, ou jupe mini-mini... par tous les temps, et sous la neige, un peu partout dans Paris (elles aussi manipulées par un autre machisme : "sois provocante, j'aime ça", ou, dit en d'autres termes : "sois "pute" que je puisse te soumettre").

    Le jour de la journée de la jupe, j'étais en pantalon, car la jupe c'est aussi les "Juppettes", c'est aussi une obligation à un certain niveau social (dans les ministères), porter le pantalon (comme Christine Lagarde) est une sorte d'émancipation. Voyez nos chères Premières Dames : pas souvent en pantalon ! Voyez les familles royales, pas souvent en pantalon les prétendantes au trône.

    RépondreSupprimer
  2. On va dire qu'on a toujours la liberté de choisir le regard réducteur qu'on va supporter... Mais les lois sont là pour réduire le spectre des possibles : depuis 2003, le "racolage passif" et depuis un an la loi burqa, deux styles de vêtements qui peuvent t'attirer de sérieux ennuis, bientôt va falloir tout mettre au ras du genou et arborer ses cheveux découverts (mais pas trop crêpés non plus) pour éviter la garde à vue !
    Ce qui est pénible, c'est de découvrir que finalement, on aura toujours un avis sur comment doit s'habiller une femme, alors que pour la place des femmes dans la société, ça, on préfère pas trop réfléchir. C'est sans doute moins ludique.
    J'ai pas vu la journée de la jupe, jpeux pas dire. On m'en a dit du grand bien et aussi du mal. Mais ceux qui en tirent de grandes théories sur le monde, sans réaliser une seconde qu'ils s'appuient sur une fiction, ceux-là me gonflent. Je te dis ça parce que je sors d'un débat facebookien long comme le bras avec un de ces "sauveurs" des opprimées des quartiers. Le paternalisme se porte bien.

    RépondreSupprimer
  3. Et on devrait aussi, dans ces remises à l'ordre vestimentaire, se préoccuper chez les garçons des pantalons "souslescouilles" laissant deviner des fessiers parfois affriollants, les chemises non cravatées ouvertes sur des pilosités viriles excitantes. Ah oui mais non, les garçons ils s'habillent comme ils veulent sans encourir de jugement moral. Les filles, elles, sont TOUJOURS trop ou pas assez. Le mieux c'est encore de se cacher. Sous un voile ?

    RépondreSupprimer
  4. A rajouter au florilège: les arnaques de toutes sortes qu'on te propose parce que, comme t'es une femme, t'y connais rien! Bien sûr, tu te renseignes et tu évites l'arnaque mais c'est quand même très énervant d'être systématiquement prise pour une teubé !

    RépondreSupprimer
  5. Pour le fun, fadelamara en… pantalon à la soirée de la jupe : http://www.lesinrocks.com/actualite/actu-article/t/55798/date/2010-11-26/article/en-pantalon-a-la-soiree-de-la-jupe/

    RépondreSupprimer
  6. Zaviok, le mieux, c'est encore, je dirais, de garder le cap suivant : mes fringues, c'est mon affaire !
    Quant aux arnaques, moi ce qui m'énerve c'est quand un homme entreprend de m'apprendre la vie. Ce que c'est chiant, dans cette situation je me sens comme un chat qui ploie discrètement pour éviter une caresse...
    Pescade, merci pour cet article bien écrit et drôle !

    RépondreSupprimer