vendredi 22 juillet 2011

bonnet





Considérant que ma gorge avait besoin d'un soutien tout neuf, j'entrai dans une pimpante échoppe de la rue Clignancourt. Nous étions dans les derniers jours du festival de prix raisonnables. Des pancartes s'affolaient au-dessus de vracs multicolores. Cinquante pour cent ! Derniers jours ! Tout à quatre euros soixante-neuf ! Mes mains empoignèrent derechef des tuniques entremêlées tandis que mes yeux roulaient vers d'autres horizons baignés d'étiquettes "nouvelle collection" (traduisez "prix élevé" en langage marchand). Stoïque, mon cerveau me signalait l'objet premier de ma venue avant de se laisser à nouveau dérouter par l'abondance. Après malaxage des stocks, je revins à ma quête.


Ils étaient là. Des pans entiers de confections dédiées au confort des poitrines se dressaient autour de moi, telles des rangées de boîtes à œufs portant petits nœuds et satin. Placardés sur toute la surface des murs, des tissus pointaient de leurs bonnets les clients surmenés en affichant une ferme convexité. Thermoformés, ourlés de baleines métalliques ou doublés de coussinets, les ingéniosités techniques dernier cri convergeaient toutes vers un idéal. Pas deux. Je reçus la nouvelle par cette évidence visuelle : le sein se porte à la hauteur x, décrit la courbe y et répond au calibre z. L'uniforme était là, fourré sous des matières et frous-frous travaillant à l'illusion d'une joyeuse diversité. 

Décidée à snober les bataillons de coques jumelles, je concentrai mes recherches sur les rares modèles en tissu libre de tout rempart normalisant.  Je dus bien vite quérir l'aide d'un vendeuse. Celle-ci m'indiqua l'emplacement de l'étiquette utile (celle qui n'est jamais visible) : sur chaque modèle était signalé l'ensemble des tailles disponibles, afin d'éviter l'épluchage systématique du rayon. 

Le croirez-vous ? Les bonnets destinés aux seins de petite taille - dits A - étaient introuvables sur les modèles non fortifiés. Il ne manquerait plus que nous exhibions fièrement notre lacune mammaire. A l'inverse, les bonnets D n'existaient pas dans les multiples créations au garde-à-vous. Nous n'allons pas non plus renforcer sans vergogne un débordement déjà inconséquent, non mais hé. Nous voilà donc priées d'arborer le juste nibard, qui n'est ni barre ni poire, ni pois ni pointe, ni poids ni poing. Point.

vendredi 3 juin 2011

Unité


"Unité" est un mot d'ordre de ralliement spontané. Ne pas se fier au radical du mot qui peut laisser penser qu'il s'agit de faire "un". Exemple : à gauche, on distingue au moins trois tendances unitaires.

1- "Unité de toute la gauche" : Injonction de voter pour un grand parti de gauche qui n'a pas su vous séduire par un programme. Cet appel unitaire était naguère appelé "vote utile". Souvenez-vous. Il y a quelques années, le vote utile était à vos idées de gauche ce que les haricots sont aux frites : un choix raisonnable à défaut d'être enthousiasmant. "Patience, les frites c'est long à préparer", répétaient les maitres-queux de cette vaste cuisine en rachetant des quintaux de haricots. Vous avez consommé des tonnes de verdure, vous n'avez pas digéré si bien que ça et votre envie de frites est toujours là. Que faire ?
2- "Unité à gauche de la gauche" : C'est l'unité qui s'est soustraite à la première, arguant qu'il fallait viser l'obtention d'un vrai plat de frites. Aux yeux des premiers, elle s'est surtout contentée de mettre l'huile sur le feu, à quoi cette unité-là rétorque qu'elle a le mérite d'arrêter de faire cuire des haricots.

3- "Unité autour d'un programme anticapitaliste" :  C'est l'unité qui trouve très bien que l'unité 2 scande "des frites pour tous" mais qui se méfie en les voyant agiter des presse-purée. "Les frites par le presse-purée (ou "révolution par les urnes"), ça se peut pas." font-ils remarquer à leurs interlocuteurs, qui leur demandent en retour combien de temps ils comptent cueillir des patates sans les cuisiner.

Les uns sont parfois tentés d'accuser les autres de renforcer l'extrême-droite en se trompant d'unité. Il convient alors de rappeler que c'est la droite qui, par une politique raciste méticuleusement menée depuis plus de dix ans, a planté les pitons de l'actuelle escalade fasciste. Notons que les adversaires du front national  de tous horizons savent oublier leurs divergences pour assurer sa dégringolade.


dimanche 3 avril 2011

Pédagogie (sens gouvernemental)


La pédagogie, selon l'usage gouvernemental courant, est un onguent gras servant à faciliter l'introduction d'une grosse réforme dans les fondements citoyens. La pédagogie est utilisée dans le but d'amenuiser frictions éventuelles et échauffements subséquents. Exemple : "Il va falloir beaucoup de pédagogie pour pouvoir mettre en place une nouvelle hausse de TVA." Ne pas confondre avec propagande, qui désigne le fait que l'inéluctable ponction sera évoquée à longueur d'antennes lors de débats dits contradictoires entre ministres de la majorité hésitants et économistes enthousiastes.
   
Attention, la pédagogie n'a pas de vertu réparatrice en cas de lésion avérée. Lors de la baisse de  TVA accordée aux patrons de la restauration, impossible d'y avoir  recours pour expliquer la persistance de la sensation douloureuse dans le porte-monnaie du buveur de café et à réception du bulletin de paye du serveur. La pédagogie ne convient que pour souligner l'importance de votre consentement à  tout ce que vous pourriez avoir le mauvais goût de qualifier d'injuste.

dimanche 27 mars 2011

cellulite


Nom féminin, destiné aux personnes du même genre. La cellulite est une sorte de plainte grimpante qui fleurit au printemps dans les magazines dudit genre. Avec l'arrivée des beaux jours, il est  d'usage d'avertir ces dames que, étant amenées à se vêtir plus légèrement, leurs tours de cuisse et hanches doivent désormais diminuer sous peine d'être vus. Il s'agit de bien garder à l'esprit que se mettre physiquement à l'aise se paie en sérénité sonnante et trébuchante. 

Une fois convaincues que leurs chairs exagèrent, les lectrices suivront le guide du rétrécissement réussi. Niché entre une réclame pour le dernier hamburger  allégé de chez Mad Conald et une autre, vantant les mérites de l'onguent lipospalpirabrasif signé Charnel, le message sera limpide : les cellules superflues disparaîtront plus sûrement si vos deniers savent leur montrer l'exemple.

mercredi 23 mars 2011

Maintien


Maintien est le terme ok, bath et in visant à effacer de la mémoire scolaire son vilain prédécesseur, le redoublement. Il s'agit strictement du même procédé, mais les enseignants ont désormais interdiction de prononcer l'ancien mot sous peine de froncement de sourcils hiérarchiques. Je vous laisse méditer sur le sens de cet accoutrement langagier ("Non mon fils, tu ne feras pas deux fois la même chose, tu continueras à faire la même chose durant deux ans, ce qui n'a rien à voir."). 
Au fait, ça sert à quoi déjà, le redoublement maintien ?
L'inefficacité du redoublement maintien a été pointée par moult études mais, comme vous le savez, il faut penser l'école sans moyen - financier s'entend - afin d'être moderne*. Donc, ne perdez pas de temps à réfléchir à ce que serait la lutte contre l'échec scolaire combinée au bien-être des enfants restant entre mômes du même âge etc. Pourquoi pas ? Hé bien les solutions que vous entreverriez, inconséquents que vous êtes, risqueraient fort de n'être pas modernes*. On vous voit venir avec vos gros sabots d'effectifs réduits, de classe ouverte et modulable, voire vos vieilles idées de deux enseignants par classe. Pas de ça chez nous !
Aux yeux d'un ministère moderne*, l'inefficacité du redoublement maintien n'est pas une raison valable pour s'en débarrasser. En revanche, comme il fait partie de l'interminable liste des trucs-qui-coûtent-cher (santé, éducation etc.), il fallut quand même en limiter l'usage, en évitant soigneusement les idées alternatives, elles aussi inscrites sur ladite liste. On entreprit donc de passer par la célèbre procédure canonique à trois temps (dite aussi valse illusionniste), dont voici les moments forts :
1- le lapin entrant dans le chapeau : limitation d'un truc-qui-coûte-cher (ici le redoublement/maintien) avec une contrepartie acceptable afin d'éviter tout départ des spectateurs (ici la création du Rased pour lutter autrement contre l'échec scolaire) ;
2- la disparition du chapeau : le clou du spectacle. Dans notre exemple,  il y eut maintien de la limitation du maintien et suppression des moyens accordés auparavant pour pallier ladite limitation (Et pouf ! fini Rased) ;
3- le vapo à chiottes en guise d'épilogue : création d'un blabla ou édito pour rassurer les foules. Bien expliquer que tout ça est fait pour remettre "explicitement l'usager des services publics au cœur des préoccupations de l'administration".
Attention, la valse illusionniste est applicable à d'autres grands chantiers de modernisation et la liste des trucs-qui-coûtent-cher se remplit aussi vite que le compte en banque de Bouygues.



*la "modernité" désigne le transfert de l'argent du travail (et/ou argent public de toute nature) vers le capital (ou argent privé, dit encore "les poches aux amis du Fouquet's").

mercredi 22 décembre 2010

Salarié

Avant, les gens bossaient. Essayez de vous représenter le tableau. La vie était rude : il fallait quotidiennement gagner son pain en vendant sa force de travail. Les gens ne possédaient rien et fusillaient leur temps à la tâche. Ils étaient des travailleurs. Pas le choix : ils avaient un loyer, des besoins alimentaires voire une famille à charge. I-ma-gi-nez.

Depuis, l'eau a coulé sous les ponts bâtis par nos énergiques grands-pères. Les travailleurs se contemplent désormais dans les livres d'histoire, tandis que le titre de salarié vint il y a peu se poser sur leur front reconnaissant. Cette révolution lexicale a bouleversé le monde des gens. Le salarié est en effet l'heureux énergumène dont la passive condition consiste à percevoir une manne mensuelle de la part d'un généreux donateur-entrepreneur-perlé-de-sueur. Chaque jour illustre l'éclatante vérité de ces temps : votre quotidien de salarié rime avec gagné, privilégié, yé-yé. Fini le bassin houiller, vous pouvez remuer le bassin, ouh yeah. Courez l'annoncer à votre caissière : sa vie a changé.

Maintenant les cigales, arrêtez deux secondes votre quadrille inconséquent et écoutez bien. Votre statut ouaté vous aveugle. Vous voilà tout à coup luttant contre une réduction de salaire, de pension de retraite ou que sais-je.  Cette posture d'oisillon prêt à gober un bœuf est du plus mauvais goût. Lorsque l'entrepreneur-trimeur vous sucre un peu de ce pain béni qui beurre votre insouciance crasse, pour la préoccupante raison qu'il est en ballotage défavorable dans le classement des plus grandes fortunes mondiales, vous pourriez éviter de la ramener et faire un effort, viles entretenues que vous êtes. N'oubliez jamais qu'être salarié en activité est un confort qui se mérite.

Avec tout ça, l'on trouve néanmoins d'étonnants esprits pour s'offusquer du non paiement de l'impôt sur les bénéfices que font les grandes entreprises (Arcelor Mittal, Danone, Essilor, Saint-Gobain, Schneider, Suez environnement et Total ne reversent pas la moindre miette de leurs faramineux profits à l'État alors que  PME et salariés raquent plein pot). Mais enfin, c'est pourtant simple : les grands patrons paient déjà des salaires, c'est donc au reste de la population de se charger des contributions. Ça s'appelle la répartition, bande d'ingrats.

samedi 27 novembre 2010

Jupe (journée de la)

La vie quotidienne d'une femme, ça n'a pas de prix. Il en faudrait, des billets à rallonge, pour raconter ce que fut mon insouciante jeunesse au milieu des gros mots maladroitement lancés par des hommes en mal de chaleur humaine. Petit florilège :
- le camionneur qui se gare en travers du carrefour où j'attends un bus, dans mon village désert et depuis l'habitacle de son engin me crie "salope ! Tu te crois belle ! Sale pute !" ;
- l'estafette de gendarmes ralentissant pour se caler à mon pas, avec le lieutenant Dugenou qui, coude sorti et sourire entendu, m'adresse un "excusez-moi mademoiselle, je cherche la rue machin (inexistante)" dans un bled rural de deux mille âmes qui est censé être de leur secteur ;
- le copain de classe au lycée, gentil blondinet à la mèche très deuxième arrondissement (lyonnais), qui me hurle "salope" depuis l'autre bout de la cour parce que je porte une minijupe, mais qui sort avec une fille qui porte une minijupe ;
- les douze mille "bonjour mademoiselle" qui se terminent par un "salope" si je manque de répondre alors que quand même, dans un couloir de métro où dans la rue, je pourrais faire l'effort de dire bonjour aux gens ;
- les "Il faut sourire mademoiselle" quand je rentre du boulot ou des courses en négligeant mon rôle social de mère Noël.
Je laisse de côté les mains passées alors que je me balade en jogging mou - il faut bien que le badaud inquiet puisse s'assurer que mes fesses n'ont pas disparu - ou encore les frottages en transport en commun par les distraits qui confondent ticket et parties génitales, postérieur et oblitérateur.  Je n'évoquerai pas non plus mon entretien d'entrée aux Beaux-Arts de Saint-Étienne ou les enseignants répétaient, droits dans leurs bottes, qu'ils acceptaient tous les hommes au concours d'entrée et complétaient ensuite les effectifs avec des femmes, qui ne peuvent évidemment pas devenir artistes.

Ce que je peux être rancunière, moi, à garder souvenir de tout ça et à en faire étalage !
En lisant l'appel de ni putes ni soumises, je suis rassurée : mon cas reste une exception. Le machisme est avant tout une affaire de quartier populaire et d'immigrés, un truc qui se passe à Vitry ou équivalent. Ouf !  Envolées les inégalités salariales, de pension de retraite, de taux de chômage, de représentation politique, petit le harcèlement au travail, anecdotique l'exploitation dans les foyers familiaux, exit les parades de mâle dominant dans le monde du travail ou dans la rue, tout cela reste exceptionnel tandis qu'une masse basanée tapie au pied de chaque tour persécute nos sœurs sans relâche, usant de tout le pouvoir dont ses membres disposent pour interdire le port de la jupe. Afin de réagir avec dignité, l'idée d'appeler l'ensemble des femmes à porter une jupe (donc à en acheter une si vous êtes une de ces farfelues qui n'en possédez pas) fait son chemin. Le tour est joué. Le féminisme est une lutte qui se mène entre femmes, avec les moyens dont elles disposent : des jambes (plutôt qu'un hypothétique cerveau).  Grâce à la jupe, les femmes pourront enfin afficher leur solidarité, dans une gracieuse et muette connivence qui sied si bien à leur charmante nature.